« What else ? » – George Clooney

Ce soir j’ai regardé un film pour passer le temps, sans plus attendre. Sans plus attendre était le titre du film, « une comédie gériatrique » avais-je lu une fois quelque part, il y a de cela quelques années. Je n’avais alors pas particulièrement l’intention de le voir, et je ne l’avais finalement pas vu du tout. Et maintenant, après avoir rattrapé l’occasion, je peux confirmer que c’était effectivement une comédie gériatrique, de celles qui me mettront vraiment à l’aise dans trente ans pour passer le temps.

Rob Reiner est un réalisateur à la carrière bizarre. On aurait pu penser qu’après avoir en moins de cinq ans dirigé Stand by me, Princess Bride, Quand Harry rencontre Sally et Misery, il poursuivrait une carrière tambour battant. Du moins, je pensais ça à quinze ans, mais je dois admettre en revoyant tous ces films aujourd’hui qu’ils reposaient plus sur des canevas scénaristiques efficaces que sur une maîtrise de la caméra. Je ne m’étonne pas de découvrir les comédies gériatriques aujourd’hui, grâce à ce bon vieux Rob.

Par comédie gériatrique, quand je l’ai lu à l’époque, il fallait comprendre une comédie où les héros sont vieux, certainement, et pas une critique de la mise en scène pantouflarde. Carter et Edouard (Morgan Freeman et Jack Nicholson) ne sont plus de prime jeunesse, et se savent condamnés dans l’année, c’est tout le principe du film qui respecte à la lettre les codes du buddy movie en les mêlant plus que jamais aux arcanes de la comédie romantique comme on les respecte à la lettre depuis maintenant vingt ans, chez ces fainéants de scénaristes hollywoodiens. Deux hommes de trempes, de caractères et d’univers différents se rencontrent, mais se complètent pour mener à bien le scénario jusqu’au bout de la pellicule… voilà pour le buddy movie et je peux vous renvoyer aux grands classiques comme 48 heures, Men in Black, l’Arme Fatale, la Grande Vadrouille, le Corniaud, la Chèvre et les Compères, sans oublier le Bon la Brute et le Truand (mais sans la Brute). Ajoutez-y l’ébauche de toutes les comédies romantiques stéréotypées : un homme et une femme qui ne peuvent que se détester, s’apprécient petit à petit, puis s’aiment et après tout est merveilleux, jusqu’à ce qu’à quinze minutes de la fin quelque chose vienne tout gâcher, mais heureusement il y en a toujours un des deux pour s’humilier en public avant le générique final où ils se marient et ont beaucoup d’enfants.

« Sans plus attendre », c’était tout ça à la fois, sans la fougue le mariage les enfants et la passion, puisqu’il s’agit de deux vieilles personnes – deux hommes en plus – qui ne vont pas tarder à mourir.

Ce qui me fait en parler là, ce n’est pas tant le besoin de disserter sur l’indéniable descente aux enfers du film facile de Rob Reiner, ni la tentation de me lancer dans un grand tour du buddy movie dans la nuit du vendredi au samedi vers une heure et demi du matin, c’est qu’Edouard dans ce film à un siphon à café, que lorsque Carter le voit il se met à lui raconter une histoire de berger éthiopien dont les chèvres dansaient la gigue, et qu’enfin on y parle du Kopi Luwak, un des plus fameux café au monde.

J’ai bien conscience que je ne parlerai pas de café toute ma vie, ni forcément la semaine prochaine, même si le sujet est vaste, et je vois bien que j’ai passé sous silence le café dans les chansons de soul, l’invention des percolateurs, le what else de George Clooney, le café Chipouille des Inconnus, ou la naissance du cinéma dans les cafés.

Là, c’est surtout que ce Rob Reiner malgré tout le mal que j’en pense – et c’est plus du regret que du mal – vienne me faire penser que je n’ai pas eu un mot pour le Kopi Luwak, un des cafés les plus chers du monde… ça me pousse vers mon clavier et Sumatra.

Dès que ces Messieurs de la Compagnie des Indes orientales ont mis la main sur des caféiers, ils n’ont eu de cesse d’en faire pousser partout dans le monde… y compris les parties du monde qui n’étaient pas dans leur monde. La Vereenigde Oostindische Compagnie, la VOC fut en son temps la plus grande multinationale jamais fondée. Créée en 1602, par la fusion de cinq grandes compagnies des Provinces-Unies, dirigée par dix-sept actionnaires tout de noir vêtus et surnommés les Messieurs XVII, elle comptera en moins d’un siècle jusqu’à vingt-cinq mille employés à travers le monde, une armée privée, une centaine de navires marchands… Dès 1605 la VOC s’empare par les armes des comptoirs portugais, passe des accords d’exclusivité avec les nations orientales – c’est ainsi que seuls les navires de la VOC pourront accéder au Japon après 1638 – elle organise les monocultures et empêche la migration des graines, plants et plantes hors des territoires où règne son monopole : la cannelle à Ceylan, les girofliers à Zanzibar, mais aussi le textile, la porcelaine, le camphre, le bois de Santal, l’étain…

Le café…

Les caféiers que l’ont trouve aujourd’hui à Java, Sumatra et aux Philippines sont un héritage de cette Compagnie. Vers le milieu du XVIIIème siècle, les caféiers de l’Océan Indien sont petit à petit remplacés par des théiers. En effet, l’arbre est soumis régulièrement aux attaques des parasites, ces fruits sont souvent mangés par de petits mammifères comme des civettes, et sa culture enfin réussie aux Amériques est plus rentable, ne serait-ce qu’en temps de transport. Mais tous les arbres ne disparaissent pas, et l’on produit encore aujourd’hui à Sumatra un café d’une rare finesse, au doux parfum de caramel et de chocolat : le Kopi Luwak.

Ce n’est pas que son excellence qui le rend cher, aux alentours de 800 euros du kilo, sa rareté y est pour beaucoup : on en produit moins de deux cent cinquante kilos tous les ans. Qui plus est son mode de reproduction est somme toute hasardeux et orthodoxe, car pour produire un Kopi Luwak, il faut un… Luwak, une civette locale, voire plusieurs. Il faut attendre patiemment que ce petit chat sauvage mange toutes les baies, qu’il ait quelques petites difficultés à les digérer, puis qu’il défèque tout naturellement. Il faut ensuite retrouver ses excréments, fouiller dedans, récupérer les graines non digérés, les torréfier, et obtenir ainsi le Kopi Luwak.

Là, George Clooney se contenterait d’un What Else ? et il aurait tort. Beaucoup ont cherché autour du monde d’autres animaux qui auraient du mal à digérer le café, espérant découvrir des notes et des saveurs inconnues. Pas de bol (de café millésimé), le Luwak semble être le seul animal à disposer d’un appareil digestif et des bactéries adéquates pour reproduire les principes de fermentation industrielle des graines d’arabica.

Je m’en retourne lire avant de dormir cette histoire de Kafka sur son rivage, avant de retrouver une phrase, une chanson, un film ou une aventure de Tintin qui me rappelle que je suis encore loin d’avoir tout écrit sur le marc de café.

4 réflexions sur “« What else ? » – George Clooney

  1. Ah, le café chipouille des inconnus ! Un grand moment, ils me manquent beaucoup.

    Le café récolté dans les déjections d’une civette, cela me fait penser qu’il y a pas mal de bar-tabac qui s’appellent « la civette ». Tu aurais une explication de cette appellation ?

    • Oh oui j’en ai une, et je pense même que tu devrais m’aider sur mes articles pour que je les rallonge un peu ! Je ne vais pas te répondre ici, mais carrément faire un article à paraître d’ici deux heures.

    • et sinon, on dirait bien que ton commentaire du 13 octobre 2011 à 10h11 est arrivé dans la nuit du 17 au 18. On se croirait revenu aux diligences, avant que Lucky Luke n’aide à l’implantation du fil qui chante.

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