« La civette est un animal à peu-près fait comme un chat […] On le met aussi sous le même genre que le chien » – Dictionnaire Portatif de Commerce (1817 – Liège)

« Le café récolté dans les déjections d’une civette, cela me fait penser qu’il y a pas mal de bar-tabac qui s’appellent « la civette ». Tu aurais une explication de cette appellation ? »

Quand je me suis réveillé avec une question de lecteur dans mon Ricoré du matin, ma biscotte a craqué. Par chance toutes les miettes sont tombées à terre et pas dans mon bol, parce que vous vous en doutez à présent, une miette de biscotte dans mon Ricoré et je passe l’ami du petit déjeuner au chinois, au tamis, à tous les filtres possibles… alors que des miettes au sol, ce n’est rien, tant que je ne marche pas pieds nus.

Ma première pensée fut la suivante : « Ah ! Quelqu’un a remarqué que j’ai publié un autre jour que le mardi ! » ce qui était déjà le cas puisque l’antépénultième article a paru un mercredi, soit un mardi en retard. Donc ma première pensée aurait du être : « Ah ! Un de mes lecteurs a remarqué que j’ai publié deux fois dans la semaine, et il n’a pas l’air déstabilisé ! » Puis ce fut la catastrophe : « Mais oui ! C’est vrai ça, j’aurais pu tartiner mille fois plus sur la civette… » J’essayai de faire un commentaire sympathique plein d’allant et d’entrain, mais plus j’avançais, plus j’y trouvais matière à tout ce qu’il manquait à l’article précédent. Ou à tout ce qui aurait pu lui manquer. Il y a parfois des lecteurs qui vous donnent envie d’écrire. C’est pourquoi je me lançai dans celui-ci d’article, en me rouspétant : « et après tu vas encore prétendre que tu n’as pas pu publier le mardi à 18h30 ! » Je me suis rétorqué : « eh oh ! Camembert… » en pensant qu’un jour le Camembert aurait son heure de gloire sur ce site. Plus tard si mon imprésario – parce que oui, j’ai un imprésario – vient me faire une réflexion selon laquelle je publie trois fois dans la semaine, pour prétendre ne pas réussir à publier le mardi à 18h30, j’évoquerai la stimulation du café et le machiavélisme feutré des actes manqués dirigés par la main même de la paresse.

Je me suis demandé un jour, en passant au rayon dvd pour enfants et en tombant nez-à-nez avec la pochette de « Balto Chien-Loup héros des neiges », pourquoi diable tant de cafés, tant de bars avaient le même nom que ce chien métis, moitié loup, moitié huskie, qui mena réellement tout un attelage à Nome, Alaska, quand son maître n’en pouvait plus, et que les autres chiens étaient quasi mort. Ils étaient quand même porteur du sérum qui devait sauver une bonne partie de la population de la diphtérie ! J’étais entré dans le premier Balto venu, j’avais posé la question au buraliste, il m’avait répondu : « je suis qu’un employé », le second aussi. Le troisième était plus loquace, « je l’ai racheté comme ça », en vain. En passant j’ai croisé d’autres enseignes cousines, aux noms qui se répètent comme ça, presque sans raison, parce qu’on les a rachetées ainsi. En littérature, surtout celle où le mot « clope » est encore masculin, on fume au zinc du Balto, parfois même, on y fume des Balto. Bingo ! J’avais presque trouvé.

Les cigarettes américaines, si elles se sont imposées en Europe après la seconde guerre mondiale, étaient en fait apparues dès le début du XXème siècle chez les buralistes du vieux continent. Plus raffinées, plus blondes, moins fortes, plus parfumées, déclinées en classic, red, green, groove, poivrées, original tobacco, elles tentent de se frayer un chemin entre les Gauloises, les Gitanes, ces brunes à caractère. Elles se trouvent un public, un public classieux, un public féminin, un public qui croit qu’il va arrêter de fumer en s’allumant ses clopes de gonzesses. On connaît la suite de l’histoire et les cigarettes coûtent de plus en plus cher ma bonne dame, mon bon monsieur.

 Les Balto étaient des cigarettes américaines. Sur les paquets on y trouvait soit un Indien, ses plumes, son arc et ses flèches, ses peintures de guerre et son air sauvage, soit une caravelle, toutes les voiles gonflées par le vent. Vous ne pouviez pas ne pas comprendre qu’il venait d’Amérique ce tabac-là. De toutes façons, ça se savait encore dans tous les ports, Balto, ce n’était rien d’autre que le petit nom de Baltimore, le grand port le plus proche de toutes les terres à tabac des Etats-Unis. C’est la Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs, (la SEIT qui deviendra en 1935 la SEITA en s’occupant des allumettes) qui lui a donné ce nom, et qui distribue ce « mélange américain » sur le territoire français, parce que cette cigarette n’a d’américain que le mélange, qu’on se le dise, une recette yankee de tabac blond et d’additif exquis.

Il était de coutume pour les buralistes alors, de donner à leurs bars-tabacs le nom d’une marque de cigarettes ou d’un type de tabac dont ils avaient l’exclusivité, et c’est ainsi que fleurissaient les Lucky, les Balto, les Narval, les Ariel ou la Civette.

L’histoire de la civette est bien plus ancienne, elle a deux cent cinquante ans maintenant, mais si on y regarde bien, le Roi Salomon qui n’avait pas de tabac dans sa tabatière s’en faisait déjà offrir par la Reine de Saba. La civette, quand ce n’est pas un petit animal qui torréfie le café à la mode intestinale sous certains horizons, est dans le langage des parfumeurs un musc particulier, une matière d’orfèvre que l’on désigne comme un fixatif : il permet aux fragrances de se diffuser moins rapidement, d’être moins éthérées. Chimiquement, cette substance à une grande masse molaire, des propriétés olfactives agréables, et sa « lourdeur » lui permet de retenir les parfums et de les rendre moins volatiles.

Au milieu du XVIIIème siècle, des marchands de tabac parisiens ont l’idée d’en ajouter à leur tabac, et lui confèrent ainsi un parfum suave et musqué, viril et épicé : le tabac civette était né. Comme le café, le thé, le chocolat, le tabac en est à l’heure de toutes les expérimentations. On lui offre des saveurs sucrés, fruités, amères, mentholées, on y ajoute des goudrons pour qu’il brûle plus régulièrement, des cordes. On soigne ses emballages pour qu’il continue sa fermentation humide lors des longs transports. Frédéric Pagès, va même en 1996 dans « Descartes et le cannabis » imaginer que lorsque le premier des cartésiens s’exile aux Provinces-Unies, où il est autorisé de fumer – alors que la Prohibition sévit en France – le tabac si particulier qu’il y fume, et qui lui rend plus souple ses réflexions, est un tabac qui voyage dans des sacs de chanvre, autrement dit, que Descartes se défonçait au cannabis, pour penser comme il était. Le tabac civette est un tabac brun, presque aigre, et doit son nom à une astuce de parfumerie. Les buralistes qui en vendaient, avaient le droit d’appeler leurs établissements la Civette, et n’y manquaient pas.

Mais cette orfèvrerie de parfumeur n’est pas étrangère au petit animal qu’on appelle la civette, et plus particulièrement de celle qu’on trouve en Ethiopie. Parce que la civette est une sécrétion des glandes de ce petit chat – qui en fait n’a rien d’un chat et n’appartient pas à la famille des félidés – glandes qu’il cache aux alentours de son anus. A l’origine, sa sécrétion lui servait à badigeonner les arbres en guise de carte de visite. Parfois même, à la période des grandes chaleurs – et on ne parle pas là de canicule – il allait à s’en enduire tout le corps comme d’un écran total, rendant son poil soyeux et parfumé. Allez savoir comment il s’est retrouvé à être élevé en captivité pour que tous les quinze jours on vienne lui retirer ses sécrétions avec une spatule, est une histoire naturelle bien frappée par la nature humaine. Les associations de défense pour les animaux vous expliqueront combien de ces civettes se suicident après cette profanation de leur intimité – 40% d’entre elles se laisseraient mourir – alors qu’il existe – depuis quinze ans à peine – une molécule de synthèse destinée à remplacer la civette originale. Tout comme on a su depuis se passer de l’ambre gris déféqué par les cachalots – ou extirpé directement dans ses boyaux – du musc du chevrotin porte-musc, du castoreum des glandes anales du castor… Voilà quatre millénaires quand même que les civettes se font torturer pour qu’aujourd’hui mon Terre d’Hermès me reste au creux du cou. Il ne faudra pas que je l’oublie quand je boirai enfin un kopi luwak.


34 réflexions sur “« La civette est un animal à peu-près fait comme un chat […] On le met aussi sous le même genre que le chien » – Dictionnaire Portatif de Commerce (1817 – Liège)

  1. Suffit de demander à ce que je vois.

    Moi aussi, j’utilise terre d’hermès, c’est dingue !

    La civette est un viverridé, et était utilisée pour chasser les rats avant l’introduction des chats sous l’empire romain.

    Il paraîtrait que ce serait son odeur qui l’aurait chassé de nos foyers au bénéfice des félidés.

      • Je l’ai découvert en participant à un concours pour Hermès, où il fallait écrire un slogan, et une courte histoire qui accompagnerait la campagne publicitaire – ou comment faire une campagne à moindre frais ! A priori, je n’ai pas gagné, mais j’ai reçu un jour par courrier alors que je ne m’y attendais pas et que j’avais complètement oublié, une « mignonnette » de ce parfum. Depuis, je l’ai adopté.

    • Le mien est bien meilleur, Pi de Givenchy et si je pouvais encore sentir son odeur je passerais ma journée à me renifler.

      Puisque c’est un article tripier je peux vous dire que j’avais prévu d’épouser le premier type qui le portait mais que puisque ça ne venait pas j’ai décidé de le prendre pour moi.

      L’agro porte un parfum de mec, OP.

          • C’est plus facile pour une fille de porter un parfum de mec que l’inverse.

          • Ça marche aussi pour les couples sneakers/talons aiguille, boxe/yoga, vêtements noirs/roses. Il y a eu plus d’efforts de la part des femmes pour gagner le droit de sortir de la boîte que de la part des hommes de façon générale. Faut dire que la notre était peut-être encore moins confortable.

            Mais ça deviendrait un tout autre débat.

          • JP Gaultier avait bien essayé de lancer la jupe pour hommes.

            Selon certains, cela traduirait plutôt la plus grande rigidité du code vestimentaire masculin. Libérez nous !

          • Je pense que c’est surtout de façon générale.

            Et sinon le kilt est une invention merveilleuse, combien de fois j’ai dû me retenir de courir après un écossais en soirée parce qu’il avait mis un kilt … Puis l’accent écossais.

            Tout ça pour dire, on essaie de vous libérer, on essaie. De toute façon c’est pas possible de sauver nos fesses de femmes sans ça.

          • Je porte très bien les chemises roses. Par contre ma compagne me regarde toujours bizarrement quand je lui choure son déodorant.

            Néanmoins, je tenais à dire que le musc de la civette mâle est un bien plus précieux que celui de la civette dame. Mais la récupération est tout aussi inconfortable à l’un qu’à l’autre.

          • Max, j’ai lu la semaine derniere que le rose, un rouge attenue, etait autrefois reserve aux garcons, alors que le bleu, couleur de la vierge marie, etait feminin.

            Ce n’est qu’assez recemment que les codes se sont inverses.

            Sous l’ancien regime, les hommes de la cour portaient dentelles, talons hauts et maquillage.

          • et les boucles d’oreille !!! Je ne te raconte pas tous les codes différents au cours de l’Histoire – déjà que j’aurai jamais fini mon article du jour à l’heure !

          • En m’achetant des chemises vendredi, j’ai cru remarquer qu’une fantaisie élégante était désormais tolérée.

          • Tant que ce n’est pas plus tolérant que les chemises à jabot qui faisaient fureur en boîte quand nous étions tout petits, tout est possible, voire agréable.

          • Il existe une photo de moi en chemise à jabot et pantalon pattes d’éléphant.

            J’avais 3 ans environs.

          • Le patte d’eff avait au moins le mérite de faire des vraies fesses aux garçons. Il n’y a rien de plus ennuyeux que des vêtements choisis pour leur mauvaise coupe.

          • Je ne sais si mes fesses étaient déjà érotiques quand j’avais 3 ans, pédophiles mis à part bien sûr.

    • C’est étonnant oui, mais René les yeux rouges était un sacré déconneur…

      Non mais en fait, pour en revenir au café, les cafés hollandais ont très longtemps été les seuls où il était autorisé de fumer. Et il est arrivé quelques fois à René de décrire toute cette liberté, en précisant que le tabac hollandais rendait « plus libre »… et là, il parlait explicitement des volutes et pas de l’autorisation de tirer sur sa pipe en bonne compagnie.

  2. C’est vrai, j’avais oublié l’épisode civette. Avec la façon dont vous parlez du café, j’ai hâte de lire ce que vous écrirez sur le thé et le chocolat, si ce n’est déjà fait. 😉

    • Ce n’est pas encore fait… mais pour quelqu’un qui boit mille fois plus de thé que de café, c’est une honte de ne pas avoir encore infuser quoique ce soit sur le sujet.

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